Je ferme les yeux, j’ai peur du ciel, des prochaines pluies de vérités qui pourraient bien me tomber sur la gueule. Et puis, ce grand mur blanc, j’ai peur du grand mur blanc, de la voix du médecin. De ce qu’il cherche et va trouver.
Ne bougez pas, Mademoiselle. C’est juste un peu froid. On va voir ce qu’a votre petit coeur.
Je sais ce qu’il a, moi. Ce qu’il va vous raconter.
Il va vous raconter cet après-midi. Où j’ai rassemblé deux trois trucs, traîner mes derniers pieds dans l’appartement. Où j’ai fait mes valises. Je me souviens des mains qui tremblent, des vêtements froissés, pourquoi faire des vêtements, et puis le bruit de la fermeture qui boucle une fois, une fois pour toute et toute une vie.
Il doit vous expliquer toutes les fois où il s’est emballé, jusqu’à me passer par la gorge.
Les coups, les murs en pleine face. Les je te quitte, je dois partir.
Et ce soir où je l’ai noyé au vin rouge.
Il doit vous parler de ses traits tirés, une clope au bec et l’air en vrac. Vous dire comme il est épuisé.
Des mégots qu’il a ramassé un par un, un matin où le soleil frappait un peu moins que la veille.
Et les confettis qu’il a balayés, déjà noircis, témoin de la fête qui n’a pas duré et des sentiments morts en dansant.
Et de ces fois où je l’ai trahi, traîné dans des pièges gros comme le chagrin qui s’en est suivi.
Et les promesses que je lui ai faites, les longues soirées que j’ai passé, sur mon lit et en poirier, à lui dire ça va aller, ça va aller, sans y croire et en arrêtant de respirer. Juste pour voir.
Il m’en veut peut-être.
Il doit vous parler des chansons qu’il ne supporte plus, fatigué de mes envies, mes trois vies, mes évitements, fatigué des mes courses folles, de mes lacets mêlés et de mes chutes en courant derrière quelques taxis.
Il déferle sans doute sa colère, de ces moments où je l’ai malmené.
Et ce déjeuner dans le parc. Il doit vous dire ce qu’il a encaissé, les pires paroles, les pires choses. Les adieux, les on se retrouvera peut-être. Il avait des frissons, des pointillés dans son discours.
Il doit se plaindre, de ces fois où je lui ai demandé de se taire, de se cacher, parce que les mauvais signes, les présages à deux balles, les je le sens pas, reste à ta place et ne prends pas de risque. Ferme-la un peu, ce que tu peux être con quand tu crois que l’amour s’installe.
C’est normal qu’il soit mal en point. Je l’ai promené dans des cimetières, je lui ai montré la lune orange et je lui ai dit merde, merde, on est vraiment comme des cons.
Il doit vous raconter les portes qui claquent et les lits qui se défont. Il vous dessine peut-être ses premiers émois et ses derniers.
Est-ce que vous le trouvez timide ? Est-ce que vous pensez qu’il a peur ? De la prochaine tape dans son dos, de la prochaine main sur mon poignet. J’ignore s’il se sent en friche ou en devenir.
Votre coeur va très bien, Mademoiselle. Tout va bien. Il faudra juste refaire une petite échographie cardiaque dans quelques années. Vous pouvez vous rhabiller.
On verra bien de quelle couleur sera la lune ce soir.
Ce texte est fabuleux. Très touchant, très vrai.
J’aime particulièrement ce passage:
« Il doit se plaindre, de ces fois où je lui ai demandé de se taire, de se cacher, parce que les mauvais signes, les présages à deux balles, les je le sens pas, reste à ta place et ne prends pas de risque. Ferme-la un peu, ce que tu peux être con quand tu crois que l’amour s’installe. »
Je te lis souvent, je t’ai découverte via Ladiesroom et je suis toujours étonnée de voir le peu de commentaires que tes écrits suscitent. Peut-être que la plupart des lecteurs sont comme moi, ils viennent régulièrement, ils lisent assidûment mais se font discrets. Du coup, aujourd’hui, je fais une petite exception pour te témoigner l’admiration que tu mérites. Merci pour ces textes et continue comme ça !
Merci Nicosia pour ton commentaire très touchant ! Sincèrement. Au plaisir.