Quand je prenais la voiture, que je buvais un peu trop, quand je franchissais le dernier métro, les pieds tremblant sous l’alcool, ils m’écrivaient pour savoir si j’étais bien rentrée.
Ils m’ont toujours protégée.
Je les aime, pas du même amour, et d’un amour qu’on ne mélange pas.
Quand j’avais le cœur en miettes, la larme facile et la peur attenante, ils écoutaient mes tracas, parfois calmes, parfois moins. Tenus par l’envie de donner des coups à ceux qui ne m’estimaient pas assez, je les pensais excessifs mais ils me plaisaient comme ça.
Que ce soit avec l’un ou avec l’autre, nous avions nos habitudes, notre table de café ou le lit de ma chambre, nous avions nos jeudis soirs ou dimanches après-midi à refaire le monde et me reconstruire une carapace. Ils avaient de la colère plein les yeux et du soutien plein les mots pour me redonner le sourire. Et ils en avaient le pouvoir.
Ils ont mille fois insulté ceux qui étaient capables de me faire du mal.
Ils ont détesté les personnes les plus toxiques de mon entourage et bien plus que je n’ai jamais été capable de le faire. Ils m’ont donné de leur réalité pour que j’ouvre les yeux, ils ont toujours su comment me parler pour me rassurer et m’aider à avancer. Ils m’ont guidée quand il faisait noir et sans vraiment se connaître, ils m’emmenaient au même endroit. Et je suis toujours arrivée plus vite.
Ils me poussaient chacun leur tour vers le bon bout, ils dégageaient mes soucis, ils allumaient la lumière, ils me conseillaient, me disaient de changer de maquillage ou de veste, de mec ou d’habitudes.
Lorsque j’ai déménagé, ils portaient tous les deux mon matelas sans vraiment se parler. Ils ont contrôlé les virages dans la cage d’escalier et ils l’ont déposé là où, sans doute, ils imaginaient mes nuits meilleures sans avoir à se concerter.
Me vouloir du bien, c’était sans doute normal.
Moi aussi, je ne leur veux que ça.
Je les aime, je les pousse quand ils sont perdus, je les relève quand ils dérapent, parce que c’est eux. J’imagine souvent que si je les aime autant ils s’aiment de logique, ils s’apprécient sans même se poser la question.
Puisque l’un est mon frère, l’autre mon ami.
Ils sont dans mon cercle, nous sommes un triangle, comme j’ai d’autres triangles. Si je t’aime et s’il m’aime, alors vous vous aimez. C’est une règle d’inférence, une déduction à la con. Une évidence dans ta gueule parce que l’amour, on te l’apprend trop rose.
J’ai rarement conçu de triangles foireux parce que je ne m’étais jamais vraiment foirée.
Jusqu’à il y a deux jours.
Il y a deux jours, eux qui me protégeaient plus que tout, en sont venus aux mains et devant moi.
Et que m’agitant au milieu pour tenter de les séparer, de stopper ce que je ne voulais pas voir et ne pouvais indéniablement pas admettre, depuis leurs corps en colère et leurs yeux bien trop rouges – l’insensé – j’ai pris un coup, une frappe, un poing, je ne sais plus bien.
Je me regarde et que je ne vois plus que ce bleu sur mon bras. Je ne trouve plus de position pour dormir.
Je m’en fous de réparer mon bleu, je voudrais réparer leurs foutus gestes. Croire bêtement que s’ils comptent autant pour moi, ils comptent un peu l’un pour l’autre. Qu’ils voient du bien en l’un puisque je ne dégage que ça devant l’autre.
Mais ça ne marche pas comme ça. Et ça ne marchera jamais comme ça.
Je pense à la petite fille qui croie encore au triangle d’amour, qui lorsque ses parents ferment la porte de sa chambre, se dit qu’ils ne peuvent pas se séparer parce que papa aime maman et que maman, elle l’aime. Elle vient de lui dire en éteignant la lumière. Alors maman devrait aimer papa. Elle ne devrait pas partir, elle l’a pourtant annoncé à table ce soir.
Je pense à ces filles qui se battent chaque jour dans leur relation. Parce que leurs parents n’apprécient pas l’homme avec qui elles partagent leurs nuits. Pourtant, si je l’aime, et si vous m’aimez, vous devriez l’aimer. Ou au moins, l’accepter.
Je regarde la marque que j’ai sur le bras, je me repasse cent fois la conversation qu’ils ont eue pour qu’en un tour dans la tête chacun, l’envie de détruire l’autre survienne sans raisonnement aucun. Je ne comprends toujours pas. J’ai envie de dire que ce n’est pas comme ça que je les ai élevés, ni comme ça que je l’aime, ni comme ça je les imaginais s’aimer.
Ils ne veulent pas se recroiser. Pourtant je voulais qu’ils viennent changer mon matelas de place parce que je m’endors mieux quand c’est eux qui s’en chargent. Alors, je ne dis rien. Je ne forme plus de triangle, juste en tailleur sur mon lit, et je me répète que ce bleu disparaîtra dans quelques jours et que j’aurai oublié comment, deux personnes que j’aime et qui m’aiment à ce point, peuvent me laisser sur le corps et dans un coin de tête, une trace de leur désamour.
Il résonne en moi ce petit texte, il se ballade dans mon ventre et dans mes souvenirs…
Merci Ovary
très joli..a fleur de peau… merci ovary
Bonjour ! Première fois que je lis ton blog, je suis arrivée ici par café de filles… et j’écoutais ça pendant que je lisais et j’ai trouvé que ça collait beaucoup… En tous cas, très beau texte qui résonne aussi pour moi… https://soundcloud.com/vivianroost/vivian-roost-get-lucky-daft
@4in : merci à toi et fonce !
@Caramel : <3
@Natacha : bienvenue et merci pour ton petit commentaire !
& très joli morceau, que je mettrai en toile de fond pour écrire mon prochain billet !