Je pleure tu pleures il pleut

C’était un soir de novembre. On roulait trop vite.

Tu m’as doublé et je ne t’ai jamais dit la chanson qui passait à ce moment-là à la radio. On suivait la direction du sud, on la prenait à toute allure.

Le jeu des essuie-glaces me sonnait un peu. Voilà à quoi on jouait depuis deux jours. Des larmes, et puis on sèche. Des larmes et puis tu pisseras moins. Des larmes et arrête un peu avec tes grands yeux noirs, tu me mets mal à l’aise.

Mais la pluie tombait, j’en avais les mains qui tremblaient sur le volant. J’hurlais des conneries, je voulais que tu m’entendes, seule dans ma voiture, je voulais parler avec toi. Parce que depuis deux jours, je ne parlais qu’avec toi. Il n’y avait plus de grands soleils, de sourires d’après-midi. Pas depuis. J’avais juste en tête ce soir-là où, assis dans la neige au milieu de nulle part, on avait osé prononcer l’indicible. Et reconnaître que ça allait peut-être arriver.

Et puis c’est arrivé. Les kilomètres filent, on y va, on se suit.

Des larmes, et puis on avance. Des larmes et puis merde. Des larmes et arrête un peu de crier comme ça. Ce sont des choses qui arrivent, paraît que ce sont des choses qui arrivent que tu avais répété la veille toute la journée.

Je sais qu’on ne tiendra pas, que j’aurais beau serrer ton bras plus que fort que jamais, quelle amitié aurait la force d’avancer sous un ciel aussi tenace, qui tenterait de s’expliquer, qui tenterait de. Mais moi je ne tenterai plus rien.

Plus rien.

Mais tu ne m’entends pas. Il fallait forcément qu’il pleuve ce matin ? Je te le demande, moi. Je t’avais dit que je n’aurais pas la force de conduire. Pourquoi il a fallu que je prenne ma voiture en croyant que rouler seule, c’était peut-être mieux. 

Voilà une heure qu’on roule. Pourquoi tu vas aussi vite. Pourquoi tu prends de la vitesse. T’es si pressé que ça ? Tu veux te prendre la claque en pleine face, tu veux que je te griffe le visage parce que je suis d’une rage que tu ne mesures pas, parce que moi aussi j’accélère, parce que je resterais bien sur la voie de gauche quand le ciel sombre un peu et que j’ai, paraît-il, un peu les mêmes traits.

Mais je ralentis, je n’ai pas envie d’y aller. Je n’ai pas envie de faire ce putain de constat. Ah ouais, il est mort, c’était pas des putains de conneries ? Je veux louper la sortie. Attends-moi, merde. Des larmes encore, des larmes et puis encore une putain de chanson à la radio.

Je sais, je cherche la merde, je fous pas les bonnes ondes, je cherche le mélo, le mal de bide et le 150.

Je te double. Tu vois. Moi aussi, je peux affronter la réalité. Je peux encore et toujours me souvenir de ce soir le cul gelé dans la neige où on s’est dit qu’il ne tiendrait pas. Notre pote. Et qu’un de ces quatre on allait devoir reconnaître que la mort, c’est pas un truc de tapette. Mais à nos âges, c’est impossible, c’est ringard la mort. Je sais qu’il voulait pas d’enfant, mais du coup dis, il aura jamais d’enfants ?

On avait rigolé, un peu. Parce qu’on était mal à l’aise. Et que je te faisais mes grands yeux noirs.

Putain. Attends-moi. Freine. Arrête de faire le con juste pour aller vérifier si c’est la réalité. Moi non plus, je veux pas y croire. T’es vraiment qu’un petit con. J’ai pas envie d’arriver moi. J’ai pas envie de tous les revoir, là, comme ça, se tenant bien droit avec cet air désolé. Personne n’est désolé, c’est quoi cette histoire. Allez viens, on retourne dans la neige. Je préfère ce froid-là à celui des églises.  

C’était une nouvelle en passant. Totalement fictive. Il paraît que c’est une petite superstition que d’écrire le drame pour l’empêcher de se pointer. 

4 commentaires sur “Je pleure tu pleures il pleut

  1. Des frissons, à la limite de la peur… Une conclusion qui soulage … (Heureusement qu’elle est la d’ailleurs celle la ). Réflexion et prise de conscience forcée. Merci !

  2. En revanche, pour le commentaire je tiens à te le répéter de nouveau : j’aime beaucoup ta façon d’écrire ! Lorsque je commence un de tes « messages » ou « articles » la curiosité me donne l’envie de continuer. Alors ne t’arrêtes pas d’écrire !

  3. Whaou !! on aurait presque peur de lire la suite….!! terrible et inquiétant jusqu’au bout !

    j’aime beaucoup ton écriture et ta façon de laisser aller nos esprits !!

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