J’essaie de faire un enfant. Et je vais te dire, c’est pas facile.
Le soir, je suis là, bien positionnée sur mon lit, les cuisses à demi écartées. Parfois, j’attends que ça vienne et d’autres, je prends des initiatives.
Je me retourne, je mets les jambes en l’air et je cherche à tous les coups le moyen de faire germer la chose.
Allez, viens. Accroche-toi, j’ai l’utérus souple et le corps en suspension.
Enfin je suis chaude quoi.
J’y travaille. Je vous jure que j’y travaille à trois clopes près.
Je me sens super fertile je vais te dire, c’est pas le problème. Faut juste que la mayonnaise prenne, c’est un peu le deal.
J’escalade, je fais l’amour à la voix de Vincent Delerm, je prends des vitamines et du temps, je donne de mon corps et de ma patience. Je gobe des boîtes de sardines, je parle embryon, je pense embryon, je vis embryon, je baise embryon.
Je prie un peu Jésus pour qu’il me fasse pondre ce petit bébé qu’un jour on ira à la messe tous ensemble pour le remercier. Je brûlerai des cierges au nom de cette fécondation et de mes longs face-à-face avec mes ovocytes.
Ce bébé sera des années de rêve et des mois de boulot, et non sans fatigue, parce que faire la pirouette dès le réveil, à chercher la meilleure position, en fouillant mon corps et en l’interrogeant sur ses capacités pour faire un môme en bonne et due forme, c’est épuisant.
Mais putain ce que c’est bon.
Je me demande souvent si les soirs où je ne prends pas de plaisir, cela veut dire que le bébé sera moche, ou roux, comme mon stagiaire, et si les soirs d’orgasmes, je prépare une oeuvre qui sera tellement belle qu’on me suppliera d’en faire d’autres derrière.
J’essaie dès le réveil, en douce dans le métro, j’essaie la nuit, alcoolisée, sobre, maquillée, flippée, grognon, salope. J’essaie quand j’ai peur et toujours plus quand je suis bien.
J’ai peur de parler de lui, et même ici, des fois que ça lui donne envie de rebrousser chemin, s’il brousse chemin il y a.
Bref, j’essaie de faire ce bébé quand il fait nuit, soleil, neige, triste, doux, chaud, ovulément-beau, mal ou dimanche. J’essaie de toutes les manières parce que même quand tu t’appelles Ovary et que t’es dotée d’une souplesse comme la mienne, eh bien il faut entreprendre une bataille sans nom et penser à ton cul sans arrêt.
Quand je pense à toute cette lutte acharnée pour un jour avoir moi aussi la nausée du bonheur.
Et devenir une pisseuse pire que celle que je ne suis déjà.
Plus jamais vous voudrez sortir avec moi.
Mais un peu si, parce que vous seriez fiers de mon bébé et puis vous aurez trop envie de savoir qui est le père.
Souvent, je sais qu’il est déjà accroché, là, au fond de mon bide. Je le sens mais j’ose pas aller vérifier des fois que le bitoniau me dise eh bien non ma Lulu, il est pas encore frit.
Je vérifie pas, j’avance, et puis un jour je verrai qu’il est là, bien logé, qu’il grossit, qu’il dépasse de partout, qu’il est dans mes projets et qu’il est solide. J’imaginerai mes nuits folles à ne pas dormir, trop fière de le sentir arriver. Et les futures conversations où je n’aurai plus que son petit nom à la bouche.
On me demandera la date de l’accouchement et je serai toute fière de la donner.
Je répondrai il sera en librairie dans une dizaine de jours.
En attendant, je m’y remets. Parce que c’est pas gagné.
Mais comment j’y ai cru jusqu’à la fin ! J’ai juste tiqué sur le « dans le métro ». Je m’en venais, cochonne que je suis, te demander des tuyaux. Donc je suis morte de rire !
Allez, donne toi à fond : je rêve de porter ton bébé et de le dévorer des yeux
Je penserai à toi en le concevant, promis.
Comme je t’envie…
Au point de me demander parfois s’il y a plus belle quête, si ce n’est pas la seule chose vraie dans un monde romancé où tout semble trop léger, trop convenu, presque sans âme… Et de laisser soudain la réalité se rappeler à mon bon souvenir, et accepter la cruelle évidence qui veut que c’est justement du monde que la création se nourrit.
Tu la sens Ovary,? L’adversité, l’impression d’être au pied d’une montagne infranchissable, dont on est contraint à s’imaginer le sommet, faute de l’apercevoir, lui qui nous nargue à se draper de la mystérieuse brume des hautes sphères?
Je t’envie cette douche écossaise d’humilité et de vanité, cette sensation mêlée de craintes et de désir, d’excitation, d’échec à chaque ligne, de ponctuation qui jamais ne trouve sa place…
Et parfois (tu écris très bien ici alors je serai tenté d’écrire « souvent » mais comment décemment imaginer qu’on puisse bien écrire sans se torturer), la victoire. Éphémère, fragile, fugace…
Tu en as de la chance…
Fantastique. Tu sens les douleurs de contraction, telle Marguerite Duras -qui n’avait pas FB ou internet pour la distraire, heureuse elle…