L'histoire de mon cul dans le canapé

Je l’ai pas choisi grand, et pas des plus confortables.
J’ai pas fait de bruit avec mes talons dans le rayon, ni même de caprices mal venus.
J’avais pas grand chose à débourser et beaucoup de mal à me projeter avec lui. C’était pas le choix d’une vie, et pas même d’un lendemain qui se voudrait arriver demain. 

Choisir un canapé, c’est un peu de la connerie quand ton appartement est minuscule et que t’as pas l’âge d’y passer des soirées, parce que tes soirées te proposent plutôt quelques verres, et puis dehors, et puis sur des trottoirs où tu te les pèles en demandant des clopes, et l’heure, et par où tu rentres toi. C’est plus important qu’un Suédois dans ton salon.

J’ai pas vraiment fait attention quand je l’ai choisi. Je m’en fichais qu’il soit trop raide, qu’il n’ait pas d’histoires folles à me raconter, et encore moins de contes de fées pour m’endormir le soir.

Tant qu’il se dépliait d’un doigt et se montrait accueillant pour réchauffer le cul de deux trois passants.

Mais si j’avais su.

Qu’il serait dans trop de mes conversations et qu’il prendrait en otage mes soirées, mes samedis, mes dimanches, et mon temps qui prend son temps.

Je hais mon canapé.
Je ne sais pas si je l’aurais aimé davantage un peu plus grand, un peu plus drôle. S’il avait eu de la conversation, des coussins à m’imposer -je suis venu avec des amis, et une vue sur mer parce que ça se fait à la livraison, comme cadeau de bienvenue.
Il aurait pu être très beau, riche et baisable que je ne l’aurais pas aimé quand même.

Il était fait pour avoir un regard noir, et à mille euros près, le deal était le même. Il est né pour me mettre la pression.
Dès le matin, il me dit de venir, viens t’asseoir, pour un café ou câlin, pour ce que tu veux après tout, mais n’oublie pas ton ordinateur et un bout de ton cerveau.

N’oublie pas de ta dextérité, et surtout tape, tape, produits, écris, donne tout.

Il me regarde très mal et m’oblige à rester là, sans bouger, tant que dix pages ne sont pas nées.
Tant que ce bébé n’a pas l’allure d’un petit bonhomme qui pourra faire un bout de chemin.

Alors il me demande de ne pas sortir. De rester sage, et concentrée, et sérieuse, bref il me demande d’avancer sur mon projet.
Je regarde par la fenêtre, il n’y a pas la mer, il n’y a même plus de soleil, il le planque pour que je ne sois pas tentée.

Mais comme il sait que je n’aime pas le soleil, il planque aussi la pluie. Il me tue dans le noir jusqu’à ce que j’écrive des lignes qui le font chialer, mais ça, jamais il ne le dira. Il est trop fier et bien trop con.

Il me donne des fourmis dans les doigts. Faut que je secoue le tout, faut que je ponde mes lignes et que je refuse de me rouler sur le parquet ou dans un paquet de tabac.

Il a raison mon canapé, c’est pas si mal les week-end avec lui, quand j’écris comme jamais, quand l’inspiration s’invite et trouve une place ici-même.
Mais les fois où je suis seule et sans elle, que l’horloge tourne et que j’ai la tête trop droite, je le maudirais d’être à quatre vingt dix, d’être sombre et de ne pas être foutu de m’encourager ou de me souffler une première petite phrase.

Si j’avais su, je l’aurais choisi grand et peut-être plus confortable. Pour lui en vouloir mais un peu moins.

J’aurais fait un peu de bruit avec mes talons dans les rayons pour que les plus cons aient peur de moi.
J’aurais fait un caprice et je me serais projetée dans ce projet d’écriture avec lui. J’aurais imaginé une vie à deux.

Ceci-dit, je crois et j’espère qu’un beau jour je l’aimerai, pensant à cet accouchement que je ferai seule ici dans ce salon et contre lui.

Il vaut mieux s’imaginer le projet terminé et le livre pondu, en tailleur à dire merci, drôles de souvenirs, que de le jeter dès lors par la fenêtre pour qu’il tombe dans le local à poubelles, parce que là je vous jure que je ne le supporte plus et que s’en suivront alors mon lit et ma baignoire que j’essaie d’habiter quand ne passent que deux heures là où je vis sept ans à chialer, cloper, écrire quatre lignes, les yeux baissés et les mains tremblantes.

C’était une histoire insignifiante de cul dans le canapé et je suis navrée si vous n’avez rien compris. 

Il n’est pas à vendre.

2 commentaires sur “L'histoire de mon cul dans le canapé

  1. La vraie question, c’est plutôt (pardonne moi tant de familiarité) « Qu’est ce que tu fous là au lieu d’être en train de diriger ton énergie sur l’important: les lignes qui ne s’affichent justement pas ici) ? »

    Cela m’est agréable de te lire, ce n’est pas ça, tu t’en doutes. C’est juste que pendant t’es ici, t’es pas là-bas!

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