Quand on sera des grands

On a tous eu un amoureux d’enfance. Qui dégoulinait dans nos journaux intimes, nous donnait de bonnes raisons de l’embrasser et d’en avoir peur à la fois.

Parce qu’on a souvent peur de son amoureux d’enfance. Même si on ne se doute pas que les amoureux d’adultes, c’est un peu la même donne et qu’en plus de ça, ça s’enroule dans ta couette et te demande ton âge.

Le mien, il était brun, mystérieux, il adorait les beignets aux fleurs d’acacias et je le voyais depuis ma fenêtre. Nos chambres donnaient l’une sur l’autre et on discutait des heures durant. On empêchait le monde de dormir, du moins c’est ce qu’on croyait.

Si on avait été fumeurs, on aurait descendu un paquet de clopes par persienne. Si on avait été capables, on se serait dit les choses pour mieux grandir ensemble. Parce que les sentiments acidulés ne préparent pas aux histoires de grandes personnes.

Puis on est devenu des grandes personnes. Des vraies, qui se font sauter ailleurs et s’enroulent dans d’autres couettes. Il a préféré les couettes à trois cents bornes de là.

Le départ, vers l’autre Bretagne. Et puis j’écoutais Brest de Miossec, en boucle. Je lui répondais. Non, non, je ne te déteste pas. On a pris des chemins différents, c’est logique, c’est normal. Et si j’ai longtemps cru que les sentiments acidulés ne préparaient pas aux histoires de grandes personnes, j’ai surtout compris qu’ils n’étaient pas des sentiments de grandes personnes.

Mais j’ai voulu qu’il parte avec un petit souvenir de moi. J’ai hésité entre une mèche de cheveux, un bac à sable, mes vieilles godasses, un cheveu de Miossec mais paie ta recherche, un ongle, une claque ou un adieu déguisé. J’ai tiré à la courte paille, j’ai mangé des dizaines de beignets, recraché la moitié, recraché l’acacia, et puis je me suis dit que ce bouquin, là, que je tenais entre les mains, était une idée à lui tout seul.

Peut-être pour son titre.

On n’empêche pas un petit coeur d’aimer. De Claire Castillon. Bien sûr, on était passé à autre chose, bien sûr. Et finalement, quel message voulais-je bien faire passer dans ce bouquin ? Je t’aime acidulée, je t’aime enfant, je t’aime d’avant mais je ne t’aime pas vraiment. Mais ne m’empêche pas de garder un souvenir de toi plutôt chaleureux, presque faternel, même si ça fait sale de dire ça, je te vois lecteur. Ou bien ? Et surtout ? Aime, rencontre. Je ne t’empêcherai jamais de vivre l’ailleurs et ailleurs. On n’est jamais prisionnier de nos premiers émois.

Dotée de ma plume la moins préparée, j’ai écrit quelques mots à l’intérieur du bouquin. Je lui ai tendu, j’ai fermé les yeux, j’ai murmuré à bientôt.

J’ai imaginé l’impact et l’impact à retardement. Les questions qui le submergeraient, les élans, les retours, les allers et les détours. Je l’ai imaginé le lire, le relire, l’apprendre par coeur. Garder auprès de lui ce livre comme un porte-bonheur, un objet précieux, à mettre sous l’oreiller, à feuilleter dans les moments difficiles, les moments les plus creux.

Je l’ai imaginé lui parler, le questionner et lui demander de l’aide. Je l’ai vu d’ici, sans moi et avec d’autres, recevoir des filles chez lui et lancer des regards sur ce bouquin, posé délicatement dans un coin de la bibliothèque. Comme s’il était un clin d’oeil, un souvenir d’enfance, plutôt doux, plutôt plaisant, un ange-gardien, un souvenir qui accompagne, fait grandir et encourage. Bref, un bonne chance pour la suite noyé de symboles dont on ne voudrait jamais se séparer.

Et j’ai appris il y a deux jours que le bouquin demeurait tranquillement dans les chiottes de chez ses parents.

3 commentaires sur “Quand on sera des grands

  1. Et oui, nous les filles on imagine plein de jolies choses toutes délicates et volatiles, des choses qui noue font tenir le coup face à ses amours d’enfance qui nous sont si belles… alors que les garçons, de leur côté, continuent simplement de vivre leur vie, sans se retourner…

    En tous cas très beau texte, tu as vraiment une belle plume

  2. oh !!!!!caramel revient la chute m éclate!!on te lit on se fait bercer par tes mots par ta sensibilité.la chute est mortelle .. c est génial

  3. C’est amusant, je travaillais pas assez concentré au labo, et en me baladant sur google, je me suis dit, si j’allais voir ovary.fr, je lis cette article, et je me dis que c’est toujours aussi sympa de te lire et la chute ma donné un ptit coin de bouche.

    Merci.

    Antoine.

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